Modèle des urnes d'Ehrenfest

Le modèle des urnes est un modèle stochastique introduit en 1907 par les époux Ehrenfest pour illustrer certains des « paradoxes » apparus dans les fondements de la mécanique statistique naissante[1]. Peu de temps en effet après que Boltzmann a publié son théorème H, des critiques virulentes furent formulées, notamment par Loschmidt, puis par Zermelo, Boltzmann étant accusé de pratiquer des « mathématiques douteuses ».

Ce modèle est parfois également appelé le « modèle des chiens et des puces[2] ». Le mathématicien Mark Kac a écrit à son propos qu'il était :

« ... probablement l'un des modèles les plus instructifs de toute la physique ... »

Le modèle des urnes

Définition du modèle stochastique

On considère deux urnes A et B, ainsi que N boules, numérotées de 1 à N. Initialement, toutes les boules se trouvent dans l'urne A. Le processus stochastique associé consiste à répéter l'opération suivante :

  • Tirer au hasard un numéro i compris entre 1 et N, prendre la boule n°i, la transférer dans l'urne où elle n'était pas.

Par convention, le premier instant est t 0 = 0 {\displaystyle t_{0}=0} .

Dynamique du modèle

N = 500 boules ; 10000 tirages.

Dans ce modèle, on suit au cours du temps t (discret) le nombre total de boules n(t) présentes dans l'urne A. On obtient une courbe qui part initialement de n(0)=N et commence par décroître vers la valeur moyenne N/2, comme on pourrait s'y attendre pour un « bon » système thermodynamique initialement hors d'équilibre et relaxant spontanément vers l'équilibre.

N = 4 boules ; 100 tirages. Les fluctuations autour de la moyenne sont importantes lorsque N est petit, et les récurrences à l'état initial sont particulièrement visibles.

Mais cette décroissance est irrégulière : il existe des fluctuations autour de la valeur moyenne N/2, qui peuvent devenir parfois très importantes (ceci est particulièrement visible lorsque N est petit).

En particulier, quel que soit le nombre de boules N fini, il existe toujours des récurrences à l'état initial, pour lesquelles toutes les boules reviennent dans l'urne A après une durée finie. Mais, comme le temps moyen entre deux récurrences consécutives croît très rapidement avec N, ces récurrences ne nous apparaissent pas lorsque N est très grand.

Version « modèle des chiens et des puces »

Dans cette version, les deux urnes sont remplacées par deux chiens, et les N boules par N puces, sautant d'un chien à l'autre.

Récurrences et théorème de Kac (1947)

Récurrences à l'état initial

Il existe des récurrences à l'état initial, caractérisées par une suite dénombrable d'instants { t n } n = 1 , 2 , {\displaystyle \{t_{n}\}_{n=1,2,\dots }} finis pour lesquels toutes les boules reviennent dans l'urne A, c’est-à-dire que l'on a : n ( t n ) = N {\displaystyle n(t_{n})=N} (par convention, on pose t 0 = 0 {\displaystyle t_{0}=0} ). On peut alors définir une nouvelle suite dénombrable τ n = t n t n 1 {\displaystyle \tau _{n}=t_{n}-t_{n-1}} des durées finies entre deux récurrences consécutives.

Théorème de Kac (1947)

Il est possible de calculer la durée moyenne entre deux récurrences à l'état initial consécutives :

  τ     =   lim p   1 p   n = 1 p   τ n {\displaystyle \langle \ \tau \ \rangle \ =\ \lim _{p\to \infty }\ {\frac {1}{p}}\ \sum _{n=1}^{p}\ \tau _{n}}

On a le théorème suivant [Kac - 1947] :

τ   =   2 N {\displaystyle \langle \tau \rangle \ =\ 2^{N}}

De plus, on peut montrer que la dispersion des durées autour de leur valeur moyenne, caractérisée par l'écart-type σ, est du même ordre de grandeur :

σ =   lim p 1 ( p 1 ) n = 1 p [ τ n τ ] 2       τ {\displaystyle \sigma ={\sqrt {\ \lim _{p\to \infty }{\frac {1}{(p-1)}}\sum _{n=1}^{p}\,\left[\,\tau _{n}\,-\,\langle \tau \rangle \,\right]^{2}\ }}\ \sim \ \langle \tau \rangle }

Voir par exemple [Kac-1957].

Solution exacte

  • Voir par exemple : [Kac-1947] et : [Kac-1957]
  • Au même titre, la mesure stationnaire du modèle, ainsi que la rapidité de convergence vers la mesure stationnaire ont été étudiées par Mark Kac[3] : voir

Lien avec une marche aléatoire

Le modèle des urnes d'Ehrenfest est formellement similaire à une marche aléatoire non isotrope sur le réseau Z {\displaystyle \mathbb {Z} } , dont la limite continue converge vers le mouvement brownien d'une particule élastiquement liée. En termes probabilistes on parle de convergence vers le processus d'Ornstein-Uhlenbeck, processus stochastique défini par l'équation différentielle stochastique :

d x t = θ ( μ x t ) d t + σ d W t . {\displaystyle dx_{t}=\theta (\mu -x_{t})\,dt+\sigma \,dW_{t}.\,}

Voir par exemple : [Kac-1947] et : [Kac-1957]

Notes et références

  1. Pour une revue des fondements conceptuels de la mécanique statistique à cette époque, on pourra lire l'article classique (paru initialement en allemand en 1912) : Paul & Tatiana Ehrenfest ; The Conceptual Foundations of the Statistical Approach in Mechanics, Dover, Inc. (1990), (ISBN 0-486-66250-0). Niveau second cycle universitaire.
  2. D'après l'anglais « dog-flea model ».
  3. Mark Kac, Random Walk and the Theory of Brownian Motion, American Mathematical Monthly 54(7) (1947), 369-391. Texte au format pdf.

Bibliographie

  • Paul Ehrenfest & Tatiana Ehrenfest ; Ueber zwei bekannte Eingewände gegen das Boltzmannsche H-Theorem, Zeitschrift für Physik 8 (1907), 311-314.
  • Mark Kac ; Random Walk and the Theory of Brownian Motion, American Mathematical Monthly 54(7) (1947), 369-391. Texte au format pdf. Cet article est l'un des six contenus dans : Selected Papers on Noise & Stochastic Processes, Charles Proteus Steinmetz & Nelson Wax (eds.), Dover Publishing, Inc. (1954). Réédité dans la collection Phoenix (2003), ASIN 0486495353.
  • Mark Kac ; Probability and Related Topics in Physical Science, Lectures in Applied Mathematics Series 1a, American Mathematical Society (1957), (ISBN 0-8218-0047-7).
  • Gérard Emch & Chuang Liu ; The logic of thermo-statistical physics, Springer-Verlag (2002), (ISBN 3-540-41379-0).
  • Enrico Scalas, Edgar Martin & Guido Germano ; The Ehrenfest urn revisited: Playing the game on a realistic fluid model, Physical Review E 76 (2007), 011104. ArXiv: cond-mat/0512038.
  • Nils Berglund, « Notre univers est-il irréversible ? » — Images des Mathématiques, CNRS, 2013.

Articles connexes

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